A.M.


A.M





- Je n'ai jamais été heureux, je ne vais pas commencer aujourd'hui.

- Et pourquoi pas ?


- Ben parce que je ne saurais pas comment faire, tout simplement

- Ça s'apprend.


- Mais être malheureux aussi, figurez-vous. Et on y met beaucoup plus de temps et d'énergie. Alors je ne vais pas sacrifier tous mes acquis pour vous.


- Et en quoi consistent vos acquis ?


- Allons, vous me mettez mal à l'aise. Ce n'est pas à moi de vous le dire.


- J’insiste. Nous savons vous et moi que la modestie ne fait pas partie de la liste.


- Soit. Une sensibilité... Une finesse d'analyse... Des capacités d’observation et d'abstraction je crois au-dessus de la moyenne. Et un goût plutôt marqué pour le cynisme. Il en faut, croyez-moi.


- Seigneur… Pensez-vous que les gens heureux soient dépourvus de ces facultés ?


- Je le crois.


- Pensez-vous que j'en sois dépourvue ?


- Vous plus que quiconque, sinon vous ne seriez pas en train de me poser toutes ces questions idiotes.


- Vous allez finir seul et malheureux.


- C'est ce que je me tue à vous dire.


- Puisque vous en parlez, pardonnez ma brutalité, mais pourquoi ne pas vous suicider tout de suite ?


- Enfin une question pertinente. Mais parce que je prévois de rentrer dans l’histoire, bien entendu ! Vous l’ignorez, mais dans quelques années, tout le monde se rendra fou pour posséder la moindre trace de mon existence… Si vous n’étiez pas si sotte, vous seriez déjà en train de m’arracher les cheveux pour les léguer à vos enfants.


- Doux Jésus, ce qu’il ne faut pas entendre…

- Cessez donc de vous en remettre aux personnages bibliques. Voulez-vous une mèche de cheveux oui ou non ?

- Bien sûr que non, enfin !!!

- A votre convenance. Après tout, je vous vois proche de l’hystérie, que diriez-vous de sacrifier à l’expression et d’arracher vos propres cheveux ? Notez que je ne vous y encourage pas, ils sont si beaux et bienvenus dans ce contexte de défaveur intellectuelle…

- Je ne vous suis pas. Vous dites, en creux, appartenir à la famille des artistes maudits, dont on sait très bien qu’ils ne se révèlent qu’après leur mort. C’est bien ça ?

- Tout juste. Ce en quoi je vous rejoins.

- Je vous repose donc ma question : pourquoi ne pas vous suicider ?

- Eh bien ce que je vais vous dire est affligeant de banalité, mais j’ai pris du retard sur mes projets. En d’autres termes, la mort viendra, mais je ne prévois pas de l’inviter. J’ai encore bien trop de choses à faire.

- Dans ce cas, permettez-moi de vous libérer de notre entretien.

- Soit. Sachez qu’il fut édifiant, je ne manquerai pas de vous solliciter à nouveau, mademoiselle.

- Tout le plaisir était pour moi, monsieur Van Gogh.








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