ECOUTONS LES VIEUX SAGES



Un jour, un vieux sage m’a dit (et il semblait avoir tout compris) :

« Il y a des gens qui sont faits pour le sport, et d’autres non »

Ce sage n’était pas seulement sage, tout le monde s’en fout aujourd’hui, des sages.
Il était surtout docteur, et le caractère divin de sa parole légitime n’avait pas vocation à être débattu. Ce type a amélioré ma qualité de vie comme personne. Il a réduit à leur forme élémentaire des années de lutte et d’élaboration de concepts compliqués visant à expliquer cet état de fait mal compris.
Dès lors je n’avais plus besoin d’os de verre, de malformation cardiaque ou de toutes ces choses que j’enviais à mes camarades pour être dispensée de sport.
Il me suffisait de dire cette phrase avec désintéressement pour honorer sa simplicité et accéder à ses effets :

« Je ne suis pas faite pour le sport ».

Et instantanément, toute velléité de me faire courir autour d’un stade devait se dissoudre dans les volutes d’une respectueuse approbation. Bon plan.
Car j’avais l’agrément d’un médecin (sage).
Mais je me suis vite rendu compte que les profs de sport appartenaient eux aussi à la famille des vieux sages. Plus exactement une catégorie déviante, beaucoup plus dangereuse, celle des vieux singes. Ceux à qui on ne la fait pas, qui ont le pouvoir de la notation, et la frustration du petit coefficient.
Ils savent que vous valez zéro et ne se privent pas de le dire, parce que c’est à peu près leur seul pouvoir face aux matières influentes, en plus d’une programmation déprimante, qui pousserait n’importe quel élève à la faute (le vendredi de 16h à 18h, zéro pour zéro, personnellement moi je sèche).
Il est hautement problématique qu’aucun d’eux ne se demande jamais si par hasard l’élève qui ne court pas et préfère discuter sur un banc pendant leur cours n’est pas bêtement un élève pas fait pour le sport.
Dans ma vie, j’ai croisé un vieux sage, deux vieux singes, mais pas seulement.
Il y a aussi eu Medhi, le jeune prof de sport fraichement moulu et un peu naïf qui me croyait tout le temps malade et s’inquiétait vachement pour moi (c’est mignon).
En plus, il me filait de sacrées notes pour les heures passées à discuter sur mon banc avec ma copine Emilie (elle n’a pas eu cette chance, la pauvre, elle avait un visage asymétrique), je ne me suis jamais senti autant reconnue dans mon statut d’élève pas faite pour le sport.
Je n’ai aucun doute malgré tout sur ce qu’il deviendra dans vingt ans, et me réjouis chaque jour de l’avoir croisé au bon moment.
Que dire également au sujet de madame M, ma prof de sport au collège, qui tombait trop souvent malade elle-même pour que nous ayions à nous préoccuper de nos propres dispenses?
Ses cours étaient fréquemment annulés dans l’urgence, quand il ne s’agissait pas d’un accident survenu pendant ceux qui étaient maintenus.
Quelqu’un de vraiment bien.
Chacun d’eux a eu son petit mot à dire sur mon bulletin, sur ma personne, comme quoi j’étais vraiment récalcitrante, ou que le ballon me faisait peur, ou qu’il était peut-être temps de consulter un cardiologue* (c’est mignon).
Je les ai tous bien aimés, et je parierais sur la réciproque.
Mais il n’existe qu’un seul événement réellement capable de me faire courir: un bus qui part sans moi.
Chaque fois, la peur au ventre, je brave le danger, imaginant que derrière moi, Mr G, Mr L, Mme M et Mehdi réunis me pointent du doigt et hurlent des propos qui n’ont pas de sens, comme « Alors comme ça on sait courir quand ya les soldes, hein ».
Peut-être pas Mehdi en fait, il était amoureux de moi.
Mais que serait ce jeune garçon touché par la grâce face à trois vieux fesse-mathieu**?
Serai-je un jour responsable de la perte du meilleur professeur de sport sur le marché ?
Non, je ne peux pas me le permettre.
Je promets aujourd’hui et devant le monde entier qu’aucun bus, plus jamais, ne me fera courir (le risque de perdre la légitimité de mon diagnostique).
Je suis, et je resterai pour toujours, une élève non faite pour le sport.
Quoi qu’il m’en coûte. Et croyez moi, le permis de conduire ça coûte très cher.






*Et je l’ai fait d’ailleurs ; c’était lui le vieux sage.
** Mon dieu, cette expression.

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