LA LIGNE


Autant Danton a dit « Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut bien la peine ! » , autant je ne me souviens pas avoir jamais dit quoi que ce soit qui aurait pu ressembler à « Un jour j’écrirai sur la ligne ».
Evidemment je suis comme tout le monde, et moi aussi je peux prétendre avoir connu des périodes troubles dans ma vie, qui ne me reviennent absolument pas en mémoire, alors que mon entourage dans sa totalité, en revanche, se les rappelle dans leurs détails les plus préjudiciables (ce qui est très frustrant).
Tenez, il y a eu ce jour supposé où j’ai voulu, parait-il, étouffer le chien sous un coussin et blesser ma sœur à l’aide d’une fleur en fils de fer.
Moi je veux bien avoir fait tout ça, et même avoir pris plaisir à le faire mais je suis prête à le déclarer sous serment, je n’ai jamais dit « Un jour j’écrirai sur la ligne ».
Ah ça non.
Pour écrire sur la ligne, il faut aimer la ligne, avoir connu sa famille, s’être encanaillée avec l’algèbre, avoir déclaré haut et fort dans son berceau et devant des parents émus jusqu’aux larmes « plus tard je serai architecte ou je ne serai rien ».
Et moi je vais vous dire, j’ai jamais été fichue d’avoir une règle dans ma trousse, je me faisais un point d’honneur à emprunter celle de mes camarades sous l’œil mauvais de mon professeur de mathématiques, et pour la rendre cassée en général.
Alors bien sur, j’en vois déjà qui m’objecteront : « Ah oui mais il y a toutes sortes de lignes, il y a les lignes courbes, les grandes lignes, la ligne d’horizon, la ligne minceur, la ligne de mire, la ligne d’eau, et puis celle qui te permettra de te plaindre oralement à ton rédacteur en chef après avoir composé péniblement ton texte (*), etc.»
Ceux là ne savent pas de quoi ils parlent, c’est évident. Je suis sûre qu’ils croupissent en ce moment en fac de Sciences économie et gestion et c’est bien fait pour eux. Ils aiment peut être ça, d’ailleurs mais je ne veux pas le savoir, ça ne me regarde pas. Est-ce que j’expose, moi, mes tendances honteuses à regarder Pyramide? Non.
De toute façon, et même s’ils avaient raison, moi j’ai un compte à régler avec la ligne de mon enfance, celle qui compromettait chaque fois les félicitations sur mon bulletin, face au français (avec qui j’entretiens par contre de très bons rapports).
C’est tout et c’est comme ça.
Alors je refuse l’idée d’une ligne courbe, d’une ligne artiste, qui a des choses à dire, d’une ligne sympathique; tout ça pour pouvoir continuer à m’engueuler correctement avec la ligne de mon enfance par l’entremise de ce journal, oui mesdames et messieurs, parfaitement, et effacez moi ce sourire en coin.
Si vous voulez, je peux vous citer Sacha Guitry, aussi.
« Il est bon de lire entre les lignes, cela fatigue moins les yeux.»
Et toc.





(*) Même pas, je l’ai écrit en un quart d’heure.

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